Nous
travaillons de la matière concrète.
Bien qu'habités par des idées, des textes, des réflexions,
des rêves, des théories, nos travaux sont réalisés
avec des éléments bien concrets.
Parce que le Vivant, moteur de la création, est concret...
Ou simplement parce que les corps, les lumières, les espaces,
les sons avec lesquels nous travaillons sont des éléments
concrets.
Ce que nous cherchons à réaliser, c'est faire en
sorte qu'un peu de la nature profonde de l'humain se dévoile,
surgisse, et que quelque chose bouge durablement en nous tous.
Nous mettons en avant la recherche sensible d'une connaissance
de la nature humaine et universelle. C’est une recherche
qui nous paraît fondamentale parce qu’en méconnaissant
sa nature profonde, l'humain méconnaît gravement
son environnement. En s'ignorant il ignore l'Autre. En se méprisant
il méprise les autres formes de vie ; il perd ainsi le
fil qui le relie à l'immensité du cosmos.
Nous cherchons donc à établir un dialogue entre
l'intérieur et l'extérieur. Nous cherchons un art
de l'exposition, qui n'est pas sans risque.
Ce
travail devrait concerner chacun d'entre nous. Il en découle
que la question des moyens qu’il requiert devrait également
nous concerner tous. C’est dire si cette question est d’ordre
éminemment politique. Que l’origine des moyens financiers
soit publique ou privée, le problème ne peut pas
se poser en des termes aussi simples. Le problème réside
surtout dans l’action politique qui a souvent fait défaut.
Or aujourd’hui, la situation s’est considérablement
dégradée puisqu’il semble que l’homme
politique ait choisi de retirer totalement ce problème
de sa mission. Que le travail que nous défendons soit de
plus en plus menacé est donc une chose certaine, et comment
ne pas s’en inquiéter ? Comment ne pas s’inquiéter
lorsqu’à la faveur d’une certaine ambiance
politico médiatique, nous entendons sur divers sujets circuler
des thèses de plus en plus abracadabrantes ?
Il devient même insupportable de constater la circulation
d’idées insidieuses qui sapent certains édifices
intellectuels que nous regretterons bientôt amèrement,
et de voir des instances censées faire autorité
se lancer allègrement dans des entreprises de démolition
de la connaissance.
Il devient complètement absurde de sentir peser à
ce point le joug de la compétition et de la rentabilité,
dont personne ne connaît ni les tenants ni les aboutissants,
et de voir la société se transformer en une gigantesque
machine de guerre aliénante.
Il est hallucinant qu'on essaie quotidiennement de nous faire
croire que créativité rime avec compétition
et inventivité avec recherche du profit, tant ces analogies
sont opprimantes pour qui n’est à la conquête
d’aucun pouvoir. Il suffit de constater le lissage des médias
pour se faire une idée de la prétendue créativité
du grand capital.
Il y a déjà plus de 350 ans, Descartes avait avancé
quantité d'arguments rationnels pour distinguer l'homme
de la machine. Nous ne sommes guère plus avancés
aujourd’hui. Et nous baignons dans un tel flou matérialiste
qu’il faudra bientôt recourir à un surmatérialisme,
comme jadis certains ont recouru au surréalisme.
Pour notre part, le concret dans lequel nous travaillons ne
sera bientôt plus fait que de contraintes si nous n’y
prenons pas garde. Aussi allons-nous lutter encore pour trouver
la liberté de tenter, de faire, de créer. Et nous
allons encore prendre du temps
– « du temps libre ».
Bertrand Louis, septembre 2007.